« Je produis mes semences de maïs de pays »
Essais. Depuis 2007 en Rhône-Alpes, des éleveurs en agriculture bio se réapproprient la culture et la sélection de maïs population, ou maïs de pays. Raymond Pitiot, dans la Loire, est l’un d’entre eux.
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Avec cinquante laitières en bio depuis 2011, Raymond Pitiot cultive chaque année sept à huit hectares de maïs à Saint-Paul-en-Jarez. Depuis dix ans, il a délaissé les hybrides pour se tourner vers les maïs population. Ces maïs de pays, cultivés en France jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, ont été retirés du catalogue après l’arrivée des hybrides en 1960. Chaque année, avec des collègues de la Loire et du Rhône, l’éleveur du Pilat teste dans ses champs des variétés récupérées dans les banques génétiques de l’Inra ou chez des paysans. « L’objectif est de sélectionner les maïs ensilages les mieux adaptés à nos sols séchants, limoneux-sableux avec un peu d’argile, et à notre climat, souligne l’agriculteur. Ici, nous cherchons à sélectionner sur la précocité, avec des équivalences à 300 en hybride. En maïs population, la plupart des variétés sont plutôt tardives, autour de 350. » Cinq variétés sont actuellement cultivées sur l’exploitation : aguartzan, poromb, grand roux basque, mel blanc et portuffec.
Une sélection massale négative à la floraison
Pour identifier les maïs les plus intéressants, des parcelles d’essai sont implantées chaque année chez les membres du groupe. Dans ces vitrines, cinq ou six variétés sont semées à deux densités différentes (65 000 et 85 000 pieds à l’hectare), chacune sur huit rangs. « De la levée jusqu’à la récolte, nous observons le comportement des plantes en notant la vigueur au démarrage, la hauteur des poupées, la sensibilité à la verse, au charbon, etc., précise Raymond Pitiot. Les variétés qui sont les mieux adaptées au terroir sont multipliées sur des parcelles de 1000 m2, isolées des hybrides, à 300 mètres minimum de distance. »
À la floraison, les agriculteurs pratiquent une sélection massale négative en détruisant une partie des plantes, celles par exemple qui n’ont pas encore fleuri, pour garder les plus précoces. En septembre, au stade ensilage, les maïs qui ont séché trop vite sont éliminés. À la récolte, seules les plus belles poupées sont conservées. Pour la multiplication des semences, un contrat est signé entre l’agriculteur-multiplicateur et l’Association pour le développement de l’emploi agricole et rural (Adear) du département qui coordonne le travail du collectif maïs population.
« Un peu moins d’amidon mais plus de MAT »
« En ensilage, les maïs population sélectionnés fonctionnent bien », estime Raymond Pitiot. Ils ont plus de feuillages que les hybrides. D’où la nécessité de les semer plus clair, surtout en conditions sèches (70 000-75 000 pieds par hectare). En irrigué, on peut monter à 85 000 pieds. Les maïs de pays non arrosés se comportent généralement mieux en conditions difficiles. Ils présentent une plus grande capacité de résister à un coup de sec. Moins réguliers que les hybrides, leur floraison s’étale sur trois semaines au lieu de huit jours. Cet été, toutefois, les plantes ont souffert de l’absence d’eau et des chaleurs intenses. La fécondation s’est mal déroulée. Sur les maïs de la vitrine déjà ensilés début septembre, les rendements étaient de 8 tonnes de matière sèche par hectare. En matière de fertilisation, l’agriculteur conseille de garder dans un premier temps ses pratiques, d’observer et d’ajuster. Sur son exploitation, il épand 30 tonnes de fumier mou (logettes) de bovins à l’hectare pour un maïs derrière une luzerne de quatre ans.
Depuis 2015, le contrôle laitier de la Loire analyse les valeurs nutritionnelles des maïs population cultivés par le collectif rhônalpin et les compare aux hybrides implantés dans les mêmes secteurs. « Les rendements des maïs population n’ont rien à envier à ceux des hybrides, analyse notre interlocuteur. En général, ils contiennent un peu moins d’amidon, mais plus de matières azotés totales. »
Les variétés testées favorablement par les paysans sont inscrites dans le catalogue Agrobio (avec les indications de provenance, de précocité, de type d’utilisation) « Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre et à certifier, note Raymond Pitiot. Nous travaillons par tâtonnements et nous échangeons avec plusieurs collectifs de paysans, Agrobio Périgord, CBD, Civam 44 ainsi qu’avec des partenaires tels que l’Inra et l’Institut technique de l’agriculture biologique. » Tous ces acteurs de la sélection se sont retrouvés mi-septembre dans la Loire, à l’occasion des rencontres nationales des maïs population (1). Le temps de travail consacré à la production de semences sur 10 ares pour 8 ha l’année suivante a été chiffré par l’Adear et le BTPL (2) à trente-six heures (implantation, récolte, tri, stockage et un jour de formation). En tenant compte d’une rémunération de l’agriculteur à 15 € de l’heure, le coût de production d’un kilo de semences de maïs s’élève à 3,50 €. À comparer aux 5 € en conventionnel et surtout aux 9 € en bio…
Le travail de sélection et de multiplication des semences paysannes est complexe mais passionnant. « À ne pas faire seul, prévient Raymond. Deux regards, c’est mieux et plus objectif qu’un seul. Cette démarche est valorisante : elle nous permet de retrouver de la connaissance. »
Anne Bréhier(1) www.agriculturepaysanne.org/mais-population (2) Bureau technique de la production laitière.
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